Le sous-groupe "Peine de Mort aux Etats-Unis"   (suite)



MESSAGES DU COULOIR : N° 5

Roger Collins, Georgia


Une erreur de justice et vingt ans dans le couloir de la mort

 Au début de 1998, Roger Collins a commencé sa vingt et unième année dans le couloir de la mort au pénitencier de Jackson, en Géorgie, aux Etats-Unis. C'est en 1977, à l'âge de dix-huit ans, que Roger Collins a été condamné à mort pour le meurtre et le viol de Delores "Lois" Lester. Pour de nombreuses raisons - judiciaires, sociales, légales et morales, cette sentence aurait du être révisée. Roger Collins a été condamné pour un meurtre commis par une autre personne. A l'époque de son procès, il était illettré et son esprit était confus. Son avocat, incompétent, n'a pas fait le poids face à un procureur déterminé à obtenir une condamnation à mort (au point de dissimuler des preuves tendant à innocenter Roger Collins). Au cours de ces vingt dernières années, tous les appels ont eu une issue défavorable, parfois pour des raisons politiques. Pour pouvoir défendre son cas, Roger Collins a appris lui-même à lire et à écrire en prison à force de persévérance. Il est devenu un homme réfléchi. Personnalité chaleureuse, il s'est fait beaucoup d'amis parmi les prisonniers, et correspond maintenant avec plusieurs dizaines de personnes à travers le monde. Pour Roger Collins, la procédure d'appel en cours est la dernière procédure d'appel possible.

Retard mental au moment des faits, pauvreté, incompétence d'un avocat commis d'office, décisions de justice prononcées pour des raisons politiques - en contradiction avec les faits, conditions de détention difficiles, le cas de Roger Collins est semblable à celui de beaucoup d'autres condamnés à mort aux Etats-Unis.

1.    Enfance
2.    William Durham
3.    Le meurtre
4.    Le procès de Roger Collins
5.    Le procès de William Durham
6.    La vie dans le couloir de la mort
7.    Le système d'appels
8.    Roger Collins : Une vie au-delà du couloir de la mort
9.    Soutien à Roger Collins

 1. Enfance

 Roger ne connut jamais son père biologique et grandit avec sa mère, Lois, et son mari Johnny Collins. Lois et Johnny eurent ensemble quatre filles. Toute l'enfance de Roger fut dominée par une vie de famille à la violence dévastatrice. Son premier souvenir - à l'âge de quatre ans - est d'avoir vu Johnny frapper Lois dans le dos, et Lois, en retour, poignarder Johnny. Après cela, il assista fréquemment à la violence dont était victime sa mère. Comme Lola, sa soeur aînée, se le rappelle : "Johnny avait l'habitude de sauter sur ma mère et de la couper, la battre, et lui donner des coups de couteau. Roger et moi, nous pouvions voir ce qui se passait car la porte était toujours laissée ouverte." Roger et Lola n'étaient pas seulement témoins de cette violence, mais en étaient aussi les victimes. Johnny frappait Roger avec sa ceinture en de nombreuses occasions et avait commencé à l'abuser sexuellement à partir de ses 6 ans.

"Cet homme [Johnny] me haïssait et a toujours cherché à me faire du mal, allant même jusqu'à me priver de nourriture et à faire manger ses enfants devant moi. Il avait aussi pris l'habitude de me boucher le nez et la bouche jusqu'à ce que je perde connaissance. D'abord, j'avais commencé par penser que c'étaient de mauvais rêves parce qu'il faisait cela lorsque j'étais endormi. Puis une fois, il le fit alors que je m'étais réveillé. Cela avait commencé lorsque j'avais 3-4 ans, aussi j'ai été terrifié par cette homme jusqu'à ce que j'atteigne 12 ans. Il prenait ma tête et la frappait contre son genou pour me faire perdre conscience (il avait vu ça dans des matchs de catch). Il me frappait sauvagement jusqu'à ce que je ne puisse plus crier. [...] Il continuait à me battre de toutes les façons. Il me battait avec des câbles de télévision, avec des câbles électriques,[...] des fils de fer entourés de scotch, etc, et son poing. Il m'appelait de noms horribles comme enfant diabolique, et disait qu'il n'y avait pas de bien en moi et que je devrais être jeté dans la rivière."? Roger Collins   ?

Johnny sombrait de plus en plus dans l'alcool et le crime, et la vie de famille devenait encore plus traumatisante. La police venait régulièrement à cause des bagarres entre Lois et Johnny, ou encore à cause des abus de boisson et des vols de ce dernier. Les deux adultes firent plusieurs séjours en prison. Mise à la rue régulièrement pour ne pas avoir payé son loyer, la famille était continuellement en déplacement, allant jusqu'à habiter à huit endroits différents au cours d'une période de deux ans. Incapable de s'habituer à une école, Roger végéta à un faible niveau scolaire et fut médicalement diagnostiqué comme ayant une incapacité d'apprentissage.

A partir de l'âge de treize ans, Roger ne vécut dans sa famille que par intermittence, trouvant du réconfort dans sa vie dans la rue. Il vécut en cueillant des fruits, en vendant des canettes d'aluminium et en volant si nécessaire. Son premier travail fut dans une station-service en Floride. Comme il le dit : "Je ne regrette pas d'avoir vécu dans les rues car c'était mieux qu'à la maison."

Pendant tout ce temps, Roger continuait à prêter attention aux autres personnes. Comme il se le rappelle : "Ma famille était tout ce que j'avais et comme un enfant, je les mettais en premier. J'étais là pour ma famille bien qu'ils ne soient pas là pour moi. " Quand il revenait à la maison, il donnait l'argent qu'il avait à sa mère et à ses soeurs pour les aider à payer les factures de l'épicier. Sa cousine, Faye Wilson, se souvient: " J'aiété le premier à l'appeler un «homme» parce qu'il essayait tout le temps d'être l'homme de la maison et de rendre les choses plus faciles pourLois et les enfants." "Johnny et Lois finirent par se séparer alors que leur relation avait atteint un paroxisme de violence, laissant Lois paralysée de la taille aux pieds. Lois et ses enfants déménagèrent en Géorgie.
?
 2. William Durham

 Ironiquement, l'homme en qui Roger voyait sa chance pour un nouveau départ dans la vie fut la personne qui scella son destin et le conduisit dans le couloir de la mort.

Peu de temps après sa séparation d'avec Johnny, Lois se trouva un nouveau compagnon - William Durham - qui avait onze ans de moins qu'elle et six ans de plus que Roger. En l'espace de deux mois, celui-ci vint s'installer dans la maison familiale. Roger, toujours en quête de sécurité et d'un modèle, s'accrocha immédiatement à lui. Au début, Durham fut conforme aux attentes de Roger et leurs relations étaient bonnes. Durham ramenait de l'argent pour les dépenses domestiques et donnait à Roger toute l'attention que celui-ci avait cherché désespérément, lui achetant sa première voiture et lui obtenant une place dans l'équipe locale de base-ball. Au moins Roger semblait avoir trouvé la figure paternelle attentionnée qui lui manquait, et il réagit en adorant Durham et en essayant constamment de l'impressionner et d'obtenir son approbation. Cependant, en quelques semaines, le comportement de Durham changea et il commença à commettre le même genre de violence que la famille avait déjà connue, pendant si longtemps. Les bagarres et les disputes redevinrent une fois de plus la vie quotidienne, chacun devenant la victime des explosions de colère de Durham.

Durham, qui se glorifiait de son passé criminel, incluant le meurtre, se mit à manipuler de plus en plus les émotions de Roger. Plein de confusion et de crainte en voyant ce que faisait à sa famille l'homme en qui il avait confiance, l'adoration de Roger se changea en peur. Après avoir vu sa mère maltraitée par Durham, et après avoir été victime lui-même d'actes de violence sauvage, Roger commença à mettre une certaine distance dans sa relation avec Durham. ?

 3. Le meurtre

 Alors que la relation entre Roger et Durham se détériorait, Lois, qui était triste de voir son fils perdre son modèle paternel, décida de faire un effort pour réparer les dommages. Une nuit de novembre en 1977, elle organisa un barbecue chez elle, espérant que Roger et Durham se raccommoderaient à cette occasion.

Lois, sachant que Durham et Roger ne s'étaient pas parlés depuis un certain temps, leur demanda d'aller chercher de la bière ensemble, dans l'espoir de voir renaître leur amitié. Les deux hommes prirent d'abord avec eux J.C. Styles, le cousin de Durham, et c'est en circulant dans le voisinage qu'ils croisèrent Delores Lester, ancienne petite amie de Roger. Après une brève conversation, Delores monta dans la voiture et ils continuèrent à rouler tout en buvant de l'alcool. Ils s'arrêtèrent à un magasin où ils furent vus en train de rire et de plaisanter ensemble.

Le groupe décida de se rendre à une boite de nuit située à quelque distance en dehors de la ville. En cours de route, Durham arrêta la voiture dans un champ désert et les occupants en sortirent. Après que les trois hommes aient eu des rapports sexuels avec Delores, Durham la prit par la main et demanda à Roger d'aller chercher le cric de la voiture. Durham conduisit Delores dans l'obscurité, suivi par Roger. Tous trois sortirent du champ de vision de J.C. Styles qui resta près de la voiture. Quatre coups violents se firent entendre, et Durham et Roger revinrent seuls. Delores avait été assassinée. Roger avait 18 ans ; il était traumatisé et effrayé. Durham avait 24 ans ; il avait un grand ascendant physique et psychologique, avec un long passé criminel derrière lui.

Il est hors de doute que l'un des deux hommes a tué Delores avec le cric, mais J.C. Styles était incapable de voir lequel avait commis le crime. Quoiqu'il en soit, le témoignage de Roger est toujours resté le même au cours de ces vingt dernières années. Comme il le dit : "Je n'ai pas participé sciemment au meurtre. J'ai dit à Durham qu'il n'avait pas à la tuer et qu'il devrait la ramener chez elle. Durham m'a renvoyé chercher le cric. Quand je suis revenu, elle était déjà par terre. Je lui ai tendu le cric et je suis retourné à la voiture. Je ne l'ai même pas vu la frapper."

"Plus tard au tribunal, au procès de Durham, J.C. Styles a témoigné que nous avions tous les deux demandé à Durham d'arrêter la voiture et de laisser Delores partir. Le Procureur du District a insinué que nous l'avions kidnappé, comme s'il s'agissait d'un plan. Mais les gens du magasin ont prouvé que ce n'était pas vrai, qu'elle aurait pu partir si elle l'avait voulu. Elle n'avait pas peur."

"Personne ne savait ce qui arriverait plus tard. J.C. a témoigné que j'avais dit à Durham d'arrêter et de la laisser partir deux ou trois fois quand il passa près de sa maison. Il a également déclaré que, lorsque nous étions sur les lieux du crime, j'avais dit à Durham qu'il fallait rentrer à la maison car je devais voir ma petite amie. J.C. a dit cela à plusieurs reprises. " "Quand Durham m'a demandé le cric, j'ai ramené l'objet en entier, avec tout ce qui lui était attaché et pas seulement la manivelle. Ceci prouve que je ne pensais pas par moi-même, mais que je ne faisais juste qu'obéir".

Cet événement devait changer le cours de la vie de Roger. Comme il le dit : "Delores a perdu la vie. Je n'ai pas essayé assez fort de la sauver et je me sens très coupable. Nous sommes tous les deux des victimes, surtout elle. J'étais juste un gamin qui faisait ce qu'on lui disait de faire. J'admets ma part dans le crime et que j'ai mérité la prison, mais je n'ai pas mérité la mort. " ?

 4. Le procès de Roger Collins

 Roger était âgé de 18 ans quand il pénétra dans le tribunal, encourant la peine de mort pour le meurtre de Delores Lester. A la limite de l'arriération mentale, confus et effrayé, il était à peine capable de comprendre ce qui se passait autour de lui. Comme il se souvient : "On m'avait expliqué que l'Etat voulait une condamnation à mort, mais c'était quelque chose de si énorme que je ne comprenais pas vraiment ce que cela signifiait. C'était comme quelque chose d'un autre monde. Bien que j'aie vécu dans ce pays toute ma vie, je n'ai jamais eu conscience d'être concerné par la peine de mort."

La pauvreté de la famille de Roger signifiait qu'il n'avait pas d'autre choix que d'accepter un avocat commis d'office. "Je pensais que j'avais de la chance," dit-il. "Quand vous n'avez pas l'habitude que des gens fassent des choses pour vous et que tout à coup quelqu'un travaille pour vous, vous en concluez qu'ils veulent prendre soin de vous. " En fait, Roger commençait son procès entre les mains de quelqu'un qui n'avait jamais plaidé dans un cas de peine capitale. L'avocat ne comprenait pas la procédure utilisée, et de toute évidence ne s'intéressait pas au sort de son client. Des années après, Roger concluait : "Du début à la fin, l'avocat n'a jamais été de mon côté. Il n'a même pas appelé à la barre des experts pour témoigner en ma faveur. Il aurait du faire plein d'objections, mais il était tout à fait incompétent. A un moment, il s'en est même pris à une personne qui témoignait en ma faveur."

Pour obtenir la peine de mort, l'accusation devait mettre en avant une circonstance aggravante du meurtre. La circonstance choisie fut le viol. En fait, il y avait si peu de preuves que le juge menaça de retirer la charge immédiatement, et n'autorisa l'accusation à poursuivre qu'avec la promesse de produire des preuves plus tard dans le procès. En réalité, il n'y avait aucun signe de contrainte sexuelle sur le corps de Delores, et l'accusation n'a jamais apporté de preuves de viol au juge.

La seule preuve produite lors du procès fut la déclaration de J.C. Styles qui, en échange d'une absence de poursuites judiciaires le concernant, témoigna en faveur de l'accusation. Quelques semaines plus tard, il fit aussi une déclaration au cours du procès de Durham, qui contint de nombreuses contradictions avec le témoignage qu'il avait fourni au cours du procès de Roger.

Au procès de Roger, par exemple, J.C. Styles ne mentionna pas que Roger et Delores s'étaient embrassés et caressés à l'arrière de la voiture, et que la seule fois où Delores protesta fut quand Durham essaya d'avoir une relation sexuelle avec elle. Il reconnut tout cela ultérieurement au procès de Durham. Autre changement dans ses déclarations : J.C. Styles n'avait pas mentionné au procès de Roger que, lorsque Delores avait demandé à Durham si l'on pouvait la ramener chez elle, Roger était allé dans son sens, mais que Durham avait refusé. Ce ne fut également qu'au procès de Durham que Styles déclara que Roger était revenu le premier à la voiture.

Comme Roger se le rappelle : "Le Procureur du District affirma que le fait que j'ai tué Delores prouvait que je l'avais violée, sinon pourquoi serait-elle morte ? Mais, s'il y avait eu un plan pour la violer et la tuer, pourquoi est-ce que nous serions passé par un magasin ? Le propriétaire du magasin a témoigné plus tard que Bill était saoul et pris de folie, que nous avons fait un boucan du diable pendant un bon bout de temps, et qu'il était impossible de ne pas se souvenir de nous. Cela montre que nous n'avions aucune intention de commettre un crime, qu'il n'y avait pas de plan contre la victime. "

Tout au long du procès, l'Etat avait aussi sciemment dissimulé la preuve physique qui aurait permis d'établir que Roger n'était pas le principal acteur du meurtre. Alors que l'autopsie avait établi que Delores avait été tuée par quatre coups assénés sur la tête avec le cric, des tests sur la chemise de Roger, qui était en possession de l'Etat après avoir été prise par la police après le crime, ne révélèrent aucune trace de sang. Cependant, ni l'existence de la chemise ni les résultats des tests ne furent révélés au cours de l'audience préliminaire (une procédure légale permettant d'avoir accès aux preuves détenues par l'autre partie) ou au cours du procès lui-même.

Personne ne voulut entendre le témoignage personnel de Roger, qu'il avait été particulièrement maltraité par Durham et qu'il subissait une pression considérable pour exécuter toutes ses demandes. Comme il essaya de l'expliquer : "Je n'ai pas contribué sciemment au meurtre, mais j'avais peur de Durham et je faisais seulement ce qu'il disait, comme je l'avais fait avec Johnny, mon beau-père, malgré ses mauvais traitements." ?

L'avocat de la défense démontra encore son manque dramatique d'expérience en omettant d'appeler à la barre des témoins pour décrire la personnalité de Roger, incluant des témoignages à propos de la violence dévastatrice à laquelle Durham l'avait soumis. Une fois de plus, Roger était trop jeune et trop confus pour savoir que sa vie était en jeu. Comme il se le rappelle : " Je n'ai jamais douté de Jim Dally, mon avocat, même lorsqu'il ne demanda pas à ma famille, à mes amis, à ma petite amie de venir parler en ma faveur. Il n'a même pas demandé à ma mère de venir témoigner. Au lieu de cela, il m'a demandé si je connaissais des personnes de race blanche éminemment respectables. Ce qu'il voulait dire, c'est qu'il ne voulait qu'un seul type de témoins. Mais ce n'était pas exactement le genre de personnes que je fréquentais à cette époque." En plus d'être mal défendu, Roger eut la malchance de tomber sur un nouveau Procureur de District, qui avait à coeur de se montrer assez ferme pour imposer la peine de mort. Ainsi, confronté à des jurés plus intéressés par la vengeance que par la culpabilité ou l'innocence de l'adolescent qu'ils avaient devant eux, Roger fut déclaré coupable de viol et de meurtre, et condamné à mort.

Roger, de race noire, fut condamné par un jury de 11 personnes de race blanche, et une personne de race noire. Si le jury avait été représentatif de la population locale, il aurait du comporter au moins quatre personnes de race noire. ?

 5. Le procès de William Durham

 Le procès de William Durham se tint après que Roger ait été condamné à mort. Plus vieux et avec une certaine expérience du système judiciaire, en raison de son passé criminel, il était en meilleure position pour suivre et résister à son procès. Par ailleurs, ayant joué dans l'équipe locale de football l'année où ils avaient gagné le championnat, il était considéré comme un héros sportif dans la communauté locale et fut, par conséquent, capable de mettre en avant des témoignages, dont beaucoup provenaient de personnes blanches, pour attester de sa respectabilité. Plus déterminant encore, il fut capable de louer lui-même les services d'un avocat.

Durham avait fait un accord avec l'Etat. Il reconnaissait sa culpabilité à propos de deux meurtres antérieurs, à condition qu'il ne reçoive pas la peine de mort pour le meurtre de Delores. Ainsi, Durham fut condamné à la prison à perpétuité alors qu'il avait commis trois meurtres. J.C. Styles vint une fois de plus au tribunal libre de toutes charges. Là encore, il apparut comme témoin pour l'accusation, avec des éléments de son témoignage clairement en contradiction avec ce qu'il avait déclaré au procès de Roger. L'Etat lui accorda l'immunité, en dépit des incohérences de témoignage. Il ne fut jamais inculpé, parce qu'il déclara que tout ce qu'il avait fait avait été sous la contrainte de Durham.

Pendant le procès, d'autres témoignages vitaux furent produits devant la cour. Par exemple, alors qu'une grande partie des charges de l'accusation reposait sur la théorie que Delores avait été soumise à la contrainte, un témoin de la station-service où le groupe s'était arrêté juste avant le meurtre a affirmé qu'elle avait vu Delores marcher autour du magasin, parlant, plaisant et ne montrant aucun signe de panique. Ce témoin n'avait pas été appelé à la barre lors du procès de Roger.

Le même jour que Roger entrait dans le couloir de la mort, Durham était condamné à la prison à vie avec possibilité de libération sur parole. Il serait actuellement détenu à la prison de Rutledge, Columbus, Géorgie, sous le coup de deux condamnations à perpétuité. Comme le dit Roger : "Tout le monde admet que Durham fut le leader et l'agresseur, et je suis celui qui va mourir pour un crime que je n'ai pas commis. Je suis considéré comme étant coupable parce que je n'ai rien fait pour l'empêcher. La société a conclu que je n'étais pas digne de vivre, un animal qui ne pouvait pas être réhabilité." ?

 6. La vie dans le couloir de la mort

  "Quand je reçus ma condamnation, je pensais que j'allais être mis à mort sur le moment. Même quand je fus emmené en prison, rien ne me fut expliqué. Je vis la chaise du coiffeur et je pensais qu'il devait s'agir de la chaise électrique, aussi je m'assis dessus parce que je pensais que c'était ce que je devais faire. Les autres prisonniers se mirent à rigoler. Je m'assis alors dans ma cellule en m'attendant à être appelé pour mon exécution d'un moment à l'autre. Je me rappelle avoir été heureux lorsque j'appris qu'il me restait au moins 6 ou 7 ans à vivre. Ca me met vraiment en colère maintenant."? Roger Collins     ?

Roger entra dans le couloir de la mort au pénitencier de Jackson, en Géorgie, à l'âge de dix-huit ans. Il n'avait alors aucune idée de ce qui l'attendait. Comme il le décrit : " Il y a deux étages de cellules qui sont parallèles les unes aux autres, de telle manière que vous ne pouvez voir personne. Il y a un grillage métallique qui vous sépare des gardes sur la passerelle. Ma cellule fait deux mètres sur trois et il y a un évier, des toilettes et un meuble de rangement (sans tiroirs). Il n'y a rien pour écrire ou pour manger dessus." ?

"Les gardes trouvent toutes sortes de moyens pour vous tourmenter. Quand vous avez un visiteur on vous fait une fouille au corps, on vous fait passer par un détecteur de métaux, subir une nouvelle fouille au corps et encore passer par le détecteur de métaux. Le détecteur est ajusté de telle manière qu'il est extrêmement sensible et se déclenche pour la plus petite chose, et cela leur donne une excuse pour vous fouiller et vous harasser encore."

"Je peux avoir des visites entre 9 et 15 heures et j'ai de la chance parce que, contrairement à beaucoup d'autres gens dans le couloir de la mort, je suis autorisé à avoir des contacts au cours des visites. La vie en prison n'a pas eu que des mauvais côtés, mais j'ai été quelqu'un de très solitaire depuis que je suis là, je me lève à 4h30 et je passe la plus grande partie de mon temps à lire, écrire, et faire de l'exercice dans ma cellule. Ce qui me préoccupe le plus est ma famille."

Au cours des années, Roger a du mener plusieurs batailles contre les autorités. "Ils ne voyaient aucun intérêt à m'apprendre à lire et à écrire" dit-il, "Parce qu'ils voyaient ça comme une perte de temps." Cependant, déterminé à comprendre les pièces de son procès et à combattre le système, Roger décida de prendre en main sa propre éducation. Comme il le dit "Je suis arrivé ici en 1977 incapable de lire ou écrire, et, pour pouvoir en appeler à la société à propos de mon cas, je me suis formé moi-même poussé par le besoin d'être compris et d'avoir un droit à être entendu, en dépit de ma stupidité et de mes lacunes antérieures. " ?

 7. Le système d'appels

 "Je pense que j'ai été en état de choc pendant les cinq premières années que j'ai passées dans le couloir de la mort, rien ne me semblait réel, c'était comme si j'étais dans un rêve. Puis j'ai commencé à passer par le système d'appels et j'ai arrêté de penser à la mort et commencé à penser à vivre. Maintenant j'ai l'impression que cette sorte de rêve est devenu un véritable cauchemar. Après tant d'années, j'ai fini par réaliser que ma vie était le jeu d'influences politiques. Ce n'est pas une affaire de justice ou de loi. Il y a plus de justice quand on lance un dé."? Roger Collins    ?

Au cours des années, Roger est passé par le processus complet du système judiciaire deux fois, avec environ 10 étapes d'appels. Tout a été fait à deux niveaux, au niveau fédéral et au niveau de l'Etat, y compris l'habeas corpus. Appel après appel, Roger a subi une série de décisions malchanceuses. Comme il le dit : "Dans toutes les possibilités que j'avais, les cours d'appels ne m'ont même pas jeté un regard. D'autres personnes ont toujours semblé réussir à trouver un chemin et il y a eu des cas similaires au mien dans lesquels les gens n'ont pas reçu la peine de mort lors de leur procès initial. Les pauvres et les noirs sont envoyés dans le couloir de la mort. Vous ne savez pas à quoi vous en tenir car il y a tellement de lois différentes, qui ne s'appliquent pas nécessairement à chaque cas. Il n'y a aucun sens de justice dans le système entier."

L'un des appels de Roger est intervenu peu après le cas de McCleskey contre Kemp en 1987 en Géorgie, qui avait soulevé des questions importantes à propos du problème de la race et de la peine de mort. Il avait été mis en évidence que, alors que les blancs et les noirs étaient victimes de meurtres en nombre à peu près égaux, ceux qui étaient accusés d'avoir tué un blanc risquaient quatre fois plus d'être condamnés à mort que ceux qui étaient accusés d'avoir tué un noir. La Cour Suprême a déclaré que les Etats pouvaient continuer à procéder aux exécutions en dépit de cette discrimination raciale évidente. Bien que les conséquences de ce cas fussent à l'avantage de beaucoup de prisonniers noirs dans le couloir de la mort, la décision de la Cour Suprême fut utilisée directement contre Roger.

Comme Roger l'explique : "Mon appel fut examiné au moment du cas de McCleskey contre Kemp et parce qu'à cette époque j'étais le seul cas où une personne noire était accusée d'avoir tué une victime noire, j'ai été utilisé comme exemple   pour qu'ils puissent prouver qu'ils avaient aussi du respect pour les victimes noires. Mon cas a été utilisé politiquement car il s'agissait d'un crime perpétré par un noir sur un autre noir. Même le juge a déclaré que, regardant en arrière, une grande injustice m'avait été faite. Malheureusement, vous ne pouvez pas revenir en arrière et refaire votre procès. Il n'y a aucune possibilité dans le système pour faire cela. "

"Même dans l'examen des faits, chacune des cours d'appels a admis que j'avais raison. Ils étaient d'accord, mais ils appelaient cela une "erreur bénigne" ou disaient que mon cas aurait du être réglé depuis des années, ce qui signifiait que je ne pouvais pas obtenir le bénéfice de lois qui auraient pu m'aider à présent. Cela signifiait que je ne pouvais pas obtenir le bénéfice de la "rétroactivité", quand ils reviennent en arrière et reconsidèrent une erreur judiciaire dans le passé. Cela a marché pour d'autres gens, mais pas dans mon cas."

Au moment de la première date sérieuse fixée pour l'exécution de Roger Collins, William Durham était devenu candidat pour une libération anticipée.

Au cours de ses appels, Roger n'a pas eu l'opportunité de réintroduire certaines des preuves vitales montrant l'injustice qu'il avait subie lors de son premier procès, non seulement les preuves matérielles dissimulées au jury, mais aussi un témoignage de la femme de J.C. Styles attestant que son mari lui a dit à plusieurs reprises que Roger n'avait pas commis le meurtre. ?

Déclaration sous serment par Diana Styles, le 10 juillet 1982?

Ce qui suit est un extrait d'une déposition écrite par la femme de J.C. Styles concernant une preuve obtenue à partir de visites à son mari en prison.?

1. Je suis la femme de Johnny C. Styles, un témoin dans le procès de Roger Collins.?
2. Mon mari J.C. Styles, Roger Collins et Bill Durham étaient dans la prison du comté de Houston à Perry, Géorgie, en 1977, inculpés pour la mort de Delores Lester. Pendant la période où ils étaient détenus dans la prison de compté de Houston, j'ai rendu visite à J.C. Styles assez souvent à la prison.?
3. Pendant mes visites à J.C. Styles, celui-ci a déclaré que Bill Durham avait été le seul à frapper Delores et que Roger Collins n'avait pas tué la fille. J.C. a dit que Roger n'avait rien à voir avec ça. J.C. m'a dit ça deux ou trois fois.?

 Au cours des années, Roger a été également incapable d'obtenir un aveu de culpabilité de la part de Durham. Il dit : "Durham a dit qu'il m'aiderait, mais il ne l'a pas fait. Ma mère a essayé de le persuader de dire la vérité, mais il a changé de prison. J'ai essayé de le contacter en parlant de lui à des prisonniers déplacés vers d'autres prisons au cas où ils le rencontreraient. Je pensais que nous étions des amis, et, après tout, je lui demande juste de m'aider. Durham a tué trois personnes, mais j'étais juste un gamin qui faisait ce qu'on lui disait de faire. [ &] J'ai mérité d'aller en prison, mais je n'ai pas mérité la mort. Comment cela pourrait-il être juste alors que je ne suis coupable ni de viol ni de meurtre ? "
 

A plusieurs reprises au cours de la procédure d'appels, Roger a reçu des dates d'exécution. "J'ai eu environ 9-11 dates, mais la plupart d'entre elles n'étaient pas sérieuses, juste une formalité. Cependant, les trois dernières ont été très sérieuses. La dernière a été en 1991 et personne ne s'attendait à ce que je survive, ni moi ni mes avocats. Ca a été très près. L'heure prévue était 19 heures, et j'ai reçu un sursis à 13 heures. La fois précédente, le sursis était arrivé deux jours auparavant, et la fois d'avant une semaine auparavant."

A la suite des dates d'exécution, l'étape la plus significative dans le cas de Roger survint en 1991, avec les retombées du cas de Jerome Bowden, un homme souffrant d'arriération mentale, exécuté en Géorgie en juin 1986. Ce cas a provoqué un débat national et a soulevé des questions clés en relation avec d'autres cas, dont celui de Roger, qui mettaient en jeu un retard mental. Comme le dit Roger: "Son cas a changé la vie de beaucoup d'autres personnes, y compris la mienne. S'il n'avait pas eu lieu, je n'aurais pas obtenu mon sursis. C'est difficile de savoir ce qui est bien et mal, je n'aurais jamais souhaité la mort de quelqu'un, mais du bien est venu du mal parce cela m'a donné la chance de vivre." ?

 8. Roger Collins : Une vie au delà du couloir de la mort

 Pour le présent, comme Roger le dit : "Deux choses me permettent de tenir le coup : garder mon sang-froid et prendre chaque jour comme il vient." Pour le futur, les espoirs de Roger sont clairs. " Je dois garder l'espoir qu'un jour je serai dehors. Même si je me suis habitué à la vie dans cet établissement, cela ne signifie pas que je ne réalise pas à quel point elle est mauvaise. Ce n'est pas ce que je veux pour le reste de ma vie. J'ai laissé derrière moi mon passé pour la possibilité d'un avenir. C'était un passé de honte, de regrets, de solitude et de douleur. Je n'avais aucune fierté et je ne croyais en rien parce que personne ne croyait en moi. C'est ce que je ressentais et je pense que les sentiments sont la seule réalité jusqu'à ce que quelqu'un change."

"Retrouver la liberté serait pour moi une renaissance, un nouveau départ complet, une chance de faire les choses différemment. J'aimerais faire toutes les choses dont j'ai rêvé, aller à des endroits et marcher dans les parcs et aller dans les galeries. Dans l'avenir, la chose que je veux faire par-dessus tout est de mettre en place un ranch pour les jeunes garçons afin de pouvoir aider les gosses qui vivent dans la pauvreté ou le crime. L'autre chose très importante pour moi est d'avoir une femme, une famille, un chez moi, de les respecter. Bien que mon vrai père et mon beau-père ne m'aient pas appris comment un homme est supposé se comporter avec sa femme et ses gosses, ils m'ont montré quelque chose d'aussi important, ce que c'était que de ne pas accorder de considération aux personnes que j'aimais et chérissais."

Au cours des vingt dernières années, Roger n'a pas eu d'autre choix que de réexaminer son implication dans le meurtre de Delores Lester. "Quand je suis arrivé ici je n'accordais aucune importance à rien, mais après quelques années en prison j'ai commencé à ressentir les choses différemment. Je suis ici depuis que j'ai dix-huit ans, depuis mon enfance. C'est tout ce que je connais maintenant et j'ai mûri depuis que je suis ici. J'ai été impliqué dans une chose terrible. Je mérite d'être en prison, mais je ne mérite pas de mourir."
"J'accepte la responsabilité entière de tout ce que j'ai pu avoir fait. Je suis désireux de corriger toutes les choses que je peux dans mon passé. Il se peut que je n'en ai jamais la chance, mais je veux que les gens sachent que je suis vraiment désolé, désolé de ne pas avoir été une meilleure personne. " ?

"La peine de mort crée plus de victimes. Ma famille est victime, bien qu'elle n'ait rien fait. La plupart des gens sont en prison à cause du manque d'argent ou juste à cause de la panique. Si vous me demandez pourquoi j'ai fait pas mal de choses dans le passé je ne pourrai rien expliquer, je les ai faites même si elles ne semblent pas avoir de sens. Les gens pensent que Dieu prendra soin des choses, ce qui les décharge de toute responsabilité. La vie ce n'est pas seulement une affaire de religion, c'est aussi une affaire de relations entre personnes, c'est donner au monde, à vous-même et à Dieu ce qu'il y a de meilleur en vous."

"Je ne me sens pas amer à propos de ce qui est arrivé. Si vous éprouvez de l'amertume, c'est que vous ne vous êtes pas pardonné. Il y en a déjà assez. Le système judiciaire est lui-même plein d'amertume, c'est pourquoi il met l'accent sur la punition par opposition aux solutions. L'amertume représente tout ce qui est négatif. Si je ne m'en étais pas débarrassé, je n'aurais pas pu changer en tant que personne."

"J'ai regardé dans le miroir et je n'ai pas aimé ce que j'ai vu. Mais la société, elle aussi, a besoin de regarder dans son propre miroir et de voir la vilenie de ce que nous continuons à nous faire les uns aux autres. Dieu ne demande à personne de créer une telle horreur en son nom, ou au nom de l'humanité."

Chaleureux et s'exprimant avec aisance, avec un sens incroyable de l'humour, Roger s'est fait beaucoup d'amis à l'intérieur et à l'extérieur du pénitencier de Jackson. Ceci inclut plus de 40 correspondants d'âge, de culture et d'expérience différents à travers le monde, avec qui il correspond régulièrement. En beaucoup d'occasions, il a fourni un inestimable soutien moral et émotionnel à des amis dans la difficulté.
?
"Alors que Roger Collins s'approchait de moi, son visage se fendait d'un large sourire. En l'espace de quelques minutes il me mit complètement à l'aise. Je n'avais pas pensé à ce que serait mon attitude personnelle envers une personne condamnée à mort. Une chose à laquelle je ne m'attendais pas était de rencontrer une personne avec qui je serais heureux de passer mon temps. Si Roger devait être libéré demain, je suis certain que nous continuerions à être amis. Il s'exprime avec aisance, il est agréable, sympathique, chaleureux. Ce qui était prévu pour être une réunion de deux heures a duré quatre heures et ne s'est terminé que par la contrainte de temps imposée par les autorités. Ma rencontre avec Roger a produit une profonde impression sur moi et restera quelque chose que je n'oublierai jamais."? Commentaires d'un volontaire du Southern Prisoners Defense Committee?    ?

En 1998, Roger Collins est une personne très différente de l'adolescent apeuré, illettré et confus qu'un tribunal de Géorgie a condamné à mort il y a plus de vingt ans. S'il devait être exécuté maintenant, cela ne serait pas seulement un acte barbare et absurde. Ce serait aussi la perte d'un être remarquable, plein de gentillesse et de considération, qui pourrait apporter une contribution inestimable à la société. ?
    "Maintenant, je veux vivre. C'est ce que je veux, je veux vivre."? Roger Collins, novembre 1997     ?

 9. Soutien à Roger Collins

Si vous souhaitez entrer en contact avec Roger Collins pour lui témoigner votre soutien, ou si vous souhaitez l'aider financièrement à assurer sa défense, vous pouvez contacter Vendla Meyer :
?

contact :  e-mail







Messages de Roger Collins
Condamné à mort à 18 ans, il en a maintenant 41. 
Ceci est extrait d'un message qu'il adresse aux jeunes Français à la demande d'Emilie C. 

Pour de plus amples informations sur ce cas voir  :
http://perso.wanadoo.fr/ai288/pdm/
http://www.rogercollinsdeathrow.com/

17 décembre 2000

Je m'appelle Roger Collins, je suis dans le Couloir de la Mort depuis bientôt 23 ans.

Il n'y a aucun doute que la peine de mort est une question émotive. Elle nous divise en plein milieu en quelque sorte. Quand on y pense, il semble y avoir des arguments de chaque côté, dont de nombreux arguments en faveur. Mais en fait nous cherchons surtout à justifier notre désir de tuer celui qui ne suit pas la règle, qui ajoute à nos craintes personnelles.

En réalité il n'y a rien à débattre. La seule vraie question est celle-ci : A-t-on le droit de mettre à mort un être humain ? Pour ceux qui répondent "Oui", il y a encore une question : S'il arrive un jour, à la personne la plus précieuse dans votre vie, de tuer quelqu'un, pourriez-vous honnêtement maintenir que celui que vous aimez doit être mis à mort ? Votre mère, père, enfant ? Voilà la vraie question. Est-ce qu'on peut soutenir encore la peine capitale quand le condamné vous est cher ?

Tout homme ou femme, garçon ou fille, qui prend la vie d'un autre doit être puni. Mais jamais au point où la société elle-même assassine au nom de la justice. Le meurtre est défini comme la décision, le projet, l'acte de tuer quelqu'un d'autre contre sa volonté. Ainsi quel que soit notre camp, nous devenons des assassins dès lors que nous nous associons à la mise à mort d'un être humain. Nous encourons alors cette même peine, condamnés sinon par la loi des hommes, en tout cas par la loi divine (si toutefois on croit en Dieu). Tuer pour démontrer qu'il ne faut pas tuer, cela n'a pas de sens. Si la société choisit de combattre le feu par le feu, il y aura beaucoup de brûlés !

Souvent on entend parler d'une personne qui désire mourir, n'ayant plus goût à la vie. Mais si vous aidez cette personne à se suicider, c'est un délit, vous êtes inculpé d'homicide. Pourtant si vous jouez un rôle dans l'exécution d"un homme vous ne faites que votre devoir de citoyen ? le boulot d'un juré est honorable !

Même si rien de ce que je dis ici ne vous touche personnellement, méditez quand même ceci : la peine de mort fait de nous tous des victimes. L'injustice envers un seul homme équivaut à l'injustice envers tous. Aujourd'hui c'est moi. Demain cela pourrait être quelqu'un qui vous est cher.

La mort d'un enfant est la douleur la plus forte pour un parent, pour une mère surtout. Quel que soit le forfait commis par son enfant, la mère doit-elle être ainsi punie, elle et le reste de la famille ? La peine de mort détruit tant de vies ? nous ne devrions pas détenir ce pouvoir absolu les uns sur les autres. Cette forme de punition crée encore plus de victimes. Ma mère est victime, mes amis sont victimes, celui qui me tend la main devient victime, d'un système qui a perdu le bon sens.
 

Roger Collins et sa mère

Je suis arrivé ici il y a 23 ans, d'un monde que je n'avais guère compris. J'étais seul, j'avais peur, je ne savais ni lire ni écrire. Je n'avais jamais eu un vrai "chez moi", à cause d'un beau-père qui me haïssait autant que moi je le craignais. Il a tout fait pour me détruire en tant qu'être humain et pendant longtemps il a réussi. J'avais tant de haine en moi, pour lui, pour moi-même, et pour tout le reste du monde, car personne n'a essayé de me protéger. Sa haine? je n'étais pas son fils ? l'a conduit à abuser de moi, physiquement et sexuellement. Je me suis barré, mais on m'a ramené chez lui. A l'âge de 12 ans je suis parti définitivement pour vivre dans la rue. Il n'y avait pas un seul être à qui je pouvais demander de l'aide, je me suis tourné vers l'intérieur de moi-même et ma haine est devenue mon unique ami. Je suis rentré si profondément en moi-même que j'y ai trouvé une liberté totale. C'était comme si je me jetais d'une falaise intérieure. Je tombais en chute libre jusqu'au point où je ne ressentais plus rien. Pourtant la peur ne me quittait pas. Seulement, je pouvais courir plus vite que ma peur, la prendre même en amitié comme j"avais pu faire pour ma haine et ma colère.

Quand je suis arrivé en prison, tout ce que j'étais, ou n"étais pas, s'est intensifié. Je n'avais jamais connu une telle terreur ou une telle confusion. C'était le monde que j'avais fui, en plus fort. J'ai essayé d'y résister. Je me trouvais dans un monde d'une rare violence, un monde sans secours, sans espoir, glacial. La démence m'entourait. Tout le monde ressemblait à mon beau-père en plus grand. Les gardiens créaient des situations où les prisonniers se dressaient les uns contre les autres ; ils nous battaient. Je me suis défendu, plus que bon nombre d'hommes ici. On m'a mis des trous dans la tête, on m'a mis des coups de couteau, on m'a brûlé. On m'a jeté dans "l'isoloir", une cellule sans rien d'autre qu'un trou dans le plancher, des jours sans nourriture.  Quand il y en avait, il m'est arrivé de ne pas y toucher pendant 15 jours. Pourquoi ?
Parce que, quand on était au trou, on avait un régime particulier, la "bouillie". Personne ne sait ce que c'est, personne ne pourrait la manger. Cela ressemble à du ciment mixé, épais et gris.
Quand les gardiens se fâchent contre vous, ils vous mettent tout nu dans cette petite pièce, vous arrosent puis mettent les ventilateurs en marche, fenêtres ouvertes. Cela se fait souvent comme cela en hiver. On tombe malade, puis ils vous refusent des soins médicaux.

La première fois qu'ils m'ont fait cela, j'avais 19 ans. J'avais une blessure ouverte au crâne. Ils m'ont fait des points de suture seulement le lendemain. Entre-temps j'avais tant saigné que ma tête s'était collée au lit de métal.

Quand on se trouve au couloir de la mort, sans famille ni amis pour mettre en question les agissements des gardes, ils font ce qu'ils veulent.

Il y a beaucoup de malades mentaux ici, ils sont souvent battus et maltraités. Cela n'arrive pas seulement dans le Couloir de la Mort mais partout dans la prison. Il y a une équipe spéciale utilisée pour nous mâter que nous appelons "the goon squad" (l'escadron des matons batteurs). Détenu dans le Couloir, tu n'es plus considéré comme un être humain ; condamné, tu n'as plus de droits.

Les malades mentaux ne sont guère aidés psychologiquement ? on leur donne des cachets et on les ignore. Nous sommes traités comme des bêtes.

Malgré tout ceci, j'ai appris tout seul à lire et à écrire. Je suis sorti de mon refuge intérieur pour changer beaucoup de choses en moi. Pour la première fois de ma vie, je suis d'une certaine manière bien dans ma peau. Les gens et les choses ne me sont plus indifférents. J'ai changé parce que je le voulais.  On ne peut pas dire qu'il y avait quelque chose de précis qui me poussait à m'améliorer. C'est simplement un choix, un désir de faire quelque chose de ma vie en dépit de tout, de tendre la main et trouver des gens prêts à me donner leur amitié.

Il y a une chose que je vous demande à tous de vous rappeler : quoi qu'il vous arrive dans la vie, quelle que soit l'horreur qui vous traque, il faut trouver un point dans votre situation où puiser la force, un niveau de contentement même dans le pire enfer. C'est à vous de changer ce qui ne va pas. Si j'avais su ce que je sais aujourd'hui, j'aurais été meilleur.  J'étais jeune et perdu, victime de ma colère, mais à présent je sais que j'aurais pu mieux faire quand même.

Il y a beaucoup de personnes en prison pour des crimes qu'ils n'ont pas commis. Nous sommes là, beaucoup d'entre nous, parce que nous n'étions pas en mesure de prendre de bons avocats.

Vous ne pourrez peut-être rien faire pour moi. Mais vous pouvez me montrer que la justice compte pour vous. Vous avez le droit de vote, vous avez le droit de faire entendre votre voix . C'est vous, les jeunes, qui serez un jour les décideurs. Le principe de base des droits de l'homme et des droits civils n'est jamais totalement acquis. Ne le perdez pas de vue.

Je ne vous demande pas de soutenir ni de justifier les actes qui enfreignent la loi. Un homme ou une femme coupable doit payer. Mais le droit de vivre et de respirer doit rester intact, pour le bien de tous. Les Etats-Unis ont le potentiel d'être un grand pays, mais ceci est gâché par leur triste politique en matière des droits de l'homme.

Que Dieu vous garde, les jeunes. Restez toujours conscients des questions sociales. A vous de jouer !
 

Dessin de Roger Collins :  "move it kid"

 
 Confessions of a son
"My life story"

Born in a world unaccepted, denied
No time to feed the baby who cried
Hungry and cold-wondering in a world within
A baby's dream of a woman's touch-
But the touch of no man.
A dirty spot on a life that some day must change
In all the ways condemned, denied
Like a snowball in the rain...
Mother, father, I can't feel nor see.
Who will tend this soul to be?!
A man trapped in this tiny thing
That will continue to grow apart from things unknown,
Invisible, void, unborn.
In the eyes of this child is a journey to unfold!
For  one second there's a sparkle-that suddenly goes cold...
One moment of indecision
Where fear took control
The sadness of my mother- 24 years told!
 I'm sorry, momma, for not being all you wanted me to be.
 I only had strength (or lack of it) to go where life has driven me.
No longer the child searching for the direction of a soft or a strong hand
Though still the little boy,
Still mother's little man.

                                                   Roger Collins, April 2001


Traduction du poème faite par des élèves du lycée de l’Essouriau, Les Ulis :

Né dans un monde inaccepté, renié
Personne n’avait le temps de nourrir le bébé qui pleurait
Affamé et glacé, songeant dans un monde intérieur,
Un rêve de bébé d’une main de femme
Sans le contact d’un homme,
Une vie tachée qui un jour doit changer
De toutes les façons condamnée, reniée,
Comme une boule de neige sous la pluie…
Maman, Papa, je ne peux ni sentir ni voir !
Qui pourrait mener cette âme à être ?
Un homme piégé dans cette petite chose
Qui va continuer de grandir, à l’écart des choses inconnues,
Invisible, vide, pas né.
Dans les yeux de cet enfant c’est un voyage qui se déroule.
Une seconde il y a une étincelle, qui soudain refroidit,
Un moment d’indécision où la peur prit le contrôle
Créa la tristesse de ma mère, 26 ans de peine !
Je suis désolé Maman, de ne pas être toutes les choses que tu voulais que je sois
Mais j’avais seulement la force d’être ce que ma vie m’avait donné.
Je ne suis plus un enfant qui cherche la direction d’une main douce ou forte,
Mais je suis toujours le petit garçon
Je suis le petit homme de ma mère.


Roger Collins
EF109620 G3-84 / 395286
P O Box 3877, GD & CP
Jackson, Georgia 30233
U S A

Appel de Roger Collins    (avril 2002)

Je m'appelle Roger Collins. J'ai 43 ans cette année. Je suis condamné à mort pour avoir participé à des événements qui se sont soldés par l'assassinat d'une jeune femme.

Je suis dans le couloir de la mort depuis l'âge de 18 ans. Bien que je n'ai tué personne directement, j'ai pleinement mérité chaque journée passée en prison. Il y avait deux autres hommes inculpés du meurtre de Delores Lester : Bill Durham, 27 ans, et Johnny Styles, 26 ans, cousin de Durham. C'est Bill Durham qui l'a tuée. Cependant j'assume ma part de responsabilité. Je me sens tout aussi coupable car j'y étais et je n'ai rien fait pour la sauver. Il me faut vivre avec cela, et le poids des remords, jusqu'à la fin de mes jours.  Ce qui compte c'est qu'elle est morte d'un acte de violence stupide. J'y ai contribué et j'accepte d'être puni.

Ce n'est pas tant que j'estime avoir été suffisamment puni, mais du fond de mon être je demande si je dois, en plus des 24 années passées dans ce couloir, payer de ma vie la bêtise criminelle du teenager que j'étais. Mon crime était bien cette stupidité de gamin inconscient.

J'étais un enfant de 18 ans, qui cherchait désespérément à m'insérer dans la vie, d'être un homme dans un monde où il n'y avait pas de place pour un enfant. Pas pour moi en tout cas. J'étais seul depuis mes 12 ans, le résultat d'une liaison entre ma mère et un homme marié, quelque chose que mon beau-père n'a jamais pu encaisser. Les sévices physiques et sexuels par lesquelles cet homme me faisait payer mon existence faisaient de ma vie un enfer. A 12 ans je suis parti en courant de la maison, et je n'ai pas arrêté de courir avant de me trouver ici. Je courais d'un extrême à l'autre, fuyant tout ce qui me faisait peur ou que simplement je ne comprenais pas. Je ne comprenais pas ce que cela voulait dire d'être aimé, accepté, entouré. J'avais besoin qu'on s'occupe de moi, j'avais besoin d'un endroit pour me réfugier, ne serait-ce qu'un moment, sans avoir continuellement à courir, à craindre.

Oui, j'ai peur. Je ne peux pas commencer à décrire la somme de terreur qui m'habite, depuis maintenant 24 ans. Quelque soit le crime d'un condamné, personne, personne, ne mérite une punition aussi cruelle et inhumaine. Qu'il y ait rétribution, oui. Mais condamner froidement à mort un homme, quel quíil soit, est assurément mal devant Dieu. Mon crime est d'avoir donné plus de prix à l'amitié d'un homme qui me dominait qu'à la vie d'une jeune femme. A présent c'est l'état de Géorgie qui n'accorde pas de valeur à la mienne. Dans ce pays c'est peut-être cela la Justice. Pour ma part je crois que ce qui s'est passé il y a 25 ans était mal, et ce qui se passe aujourd'hui est mal aussi. Tuer quelqu'un, pour faire un exemple, pour montrer que c'est mal de tuer, ça rime à quoi dans une société chrétienne, civilisée ?

Les choses étant ce qu'elles sont, Bill Durham n'a pas été condamné à mort bien que les autorités l'aient reconnu comme le meneur et l'agresseur dans cette affaire. Durham a été condamné à vie parce qu'il avait les moyens de se payer un avocat compétent. Moi, j'ai dû accepter un avocat désigné d'office qui n'avait jamais traité de procès capital avant le mien et qui a reçu $600 pour ma défense. A l'époque je ne comprenais rien à rien ; je n'avais aucune chance.

Il est vrai que j'ai beaucoup de choses à me reprocher, j'ai fait de graves erreurs dans ma vie. Je ne peux pas changer cela. J'aurais pu, j'aurais dû, faire mieux. Mais j'ai échoué. Je n'ai rien donné, je n'ai pas fait l'effort qu'il fallait. Je vous jure, je ne savais pas donner ce que je n'avais pas. Comment pouvait-on s'y attendre ? Qu'il s'agisse d'un homme ou d'un enfant, on doit d'abord lui montrer le chemin Ö Ensuite s'il s'en écarte on peut le juger. 

A présent je suis un homme, autant grâce à Dieu que grâce à moi-même. Je n'ai plus besoin qu'on m'aime. Mais j'ai besoin d'une chance. Je sais ce qui pourrait être accompli si par bonheur on me donnait une deuxième chance pour vivre, vivre pour la première fois. Je désire ce dont un homme a besoin ; et quelquepart en moi il y a encore un enfant qui veut ce qu'on lui a refusé ou qu'il a perdu.  Enfant ou adulte, je n'ai jamais été libre.

A l'extérieur je vivais dans un monde où il aurait fallu être un homme. En prison c'était pareil. J'ai beaucoup appris sur moi-même, sur ce que cela veut dire d'être un vrai homme. Si on arrive à se dépasser cela vous mènera où vous voulez aller.

Mon rêve est de fonder un jour un ranch pour des garçons en difficulté. On dit qu'il y a un bon livre à l'intérieur de chacun. Le mien serait sur ce projet-là. Chaque garçon a besoin d'une personne dans ce monde qui a confiance en lui, qui se préoccupe de lui, qui le comprend. Il a besoin d'un sens de famille, de l'amitié véritable. Je suis sûr qu'ils pourraient aussi beaucoup m'apprendre. Ce programme viserait l'enfant toujours vivant en moi. A travers eux, je redresserais mon propre passé.

Aujourd'hui il y a quelques personnes qui ont confiance en moi. J'ai confiance en moi-même. Ils s'intéressent à moi malgré mon passé. Ils pensent à l'avenir avec optimisme, et moi aussi !  Il y a 25 ans cela aurait suffi. Mais maintenant j'ai besoin de soutien pour m'aider à payer deux avocats capables de sauver ma vie. Je ne vois pas comment réunir les sommes qu'il faudrait pour les payer. 

Billy Colbert, de Laois en Irlande, m'a pris en amitié depuis 5 ans. C'est pour moi une grande bénédiction. Il fait une affaire personnelle d'essayer de me sauver la vie. Il a fait plus pour moi que je ne pourrais jamais vous dire. 

Je demande du fond de mon coeur que quelqu'un d'autre s'avance pour miser sur moi, pour m'aider à vivre. Pendant 24 années j'ai vécu dans la région grise entre la vie et la mort. Ce n'était pas la vie puisque la promesse de mort était si réelle ; ce n'était pas la mort puisqu'il restait en moi trop de vie. Si vous pouvez m'aider, donnez-moi cette chance. Je ne pourrai peut-être jamais vous rembourser. Mais si un miracle peut arriver pour moi, pourquoi pas pour vous aussi ? Je suis certainement prêt à passer le restant de ma vie à vous rendre ce que je vous dois.

Quand je suis entré en prison je ne savais ni lire ni écrire. J'ai appris seul, poussé par le besoin de comprendre ce qui m'était arrivé. Le fait que j'aie pu le faire dans ma situation présente où manque la motivation pour devenir meilleur, cela témoigne d'une certaine manière de mon caractère, de ma détermination de progresser.

Si je pouvais changer mon passé, il y aurait beaucoup de choses qui se passeraient autrement. Pas seulement parce que je suis en prison, mais parce que je regrette vraiment, vraiment.

Je n'ai pas de soutien familial, seulement un ou deux vrais amis, et d'autres qui me réconfortent et me soutiennent. Pour la première fois de ma vie, des gens se mettent à mes côtés. C'est une sensation que je ne connaissais pas, une sensation merveilleuse.

Encore une fois, je vous demande de venir nous aider dans cette tentative pour me sauver la vie. Sans votre aide je serai mis à mort. Lecteur, vous êtes ma seule chance. C'est un appel urgent que je vous adresse. S'il vous plaît, prenez-le en considération. Que Dieu vous bénisse.

 Sincèrement votre,

Roger Collins
EF109620 G3-84 / 395286
P O Box 3877, GD & CP
Jackson, Georgia 30233
U S A

Vendla Meyer (fonds Roger Collins)
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agence : 02216
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